Dans la peau d'un... gobelin

Il existe, caché par deux imposantes montagnes du craqueleur, un lieu honni par beaucoup, adoré par d'autres. Crasseux, survolé en permanence par d'épaisses vapeurs fétides et nauséabondes dont nous tairons l'origine, le campement des Bworks, n'a pas fière allure. On y viendrait presque à plaindre ses gras et grossiers occupants. Pourtant, on oublie souvent ceux sans lesquels rien n'aurait été construit. J'ai nommé les gobelins. Tyrannisés, battus par les bworks et invariablement mangés, les gobelins survivent néanmoins grâce à une reproduction très rapide qui en fait pâlir d'envie la Bworkette. Heureusement, certains de ces petits êtres à l'apparence chétive sortent du lot et se révoltent...[L'histoire vous plonge dans les pensées d'un gobelin qui réfléchit à la 3ème personne et qui ne sait absolument pas conjuguer correctement ses verbes. Pas d'inquiétudes, c'est un gobelin !]

« _Krot, viens là ! » tonne la voix.
Krot a peur, il sait que son terrible maître n'est pas de bonne humeur depuis qu'un Iop lui a brisé son épée préférée.
Mais la voix reprend, encore plus forte :
« _Krot, dépêche toi ! »
Prudemment le gobelin s'avance vers le Bwork corpulent et despotique. Une main le saisit alors vivement par le col.
« _Keski y a à boufailler c'soir ?
Le gob' répond, terrorisé :
« _Maî...Maître, vous m'avez demandé de récurer vos latrines, pas de faire à manger.
_Tu t'fiches d'moi ? Dis aussi que j'chuis bête... »
Le Bwork se fait plus menaçant en observant le gobelin et ses yeux prennent une teinte rougeâtre, familière à Krot, celle d'un être affamé devant son repas...
Mais Krot a plus d'un tour dans son sac. Krot être intelligent. Krot être malin.
De sa voix la plus flatteuse, Krot murmure :
« _La Bworkette vous attend et elle veut que vous veniez la voir à jeun pour mieux apprécier ce qu'elle veut vous faire déguster...
_Hajun ? Keske cé ksa ?
Mince, Krot trop intelligent. Krot trop malin. Bwork pas comprendre.
Les dents jaunies et éclatées du Bwork se rapprochent de plus en plus de gobelin effrayé.
Celui-ci raisonne son maître en lui expliquant le sens du mot « à jeun » et susurre de douces flagorneries à son l'oreille couverte de pustules purulentes.
Bwork mordre à l'hameçon. Krot fier, il court astiquer les bottes du tyran qui se prépare à rejoindre la Bworkette. Bientôt, le Bwork s'en va, le sourire aux lèvres, un bouquet de tournesols magiques fanés entre ses deux énormes mains. Krot a réussi, Krot a gagné.
Mais Krot est un imbécile. Le Bwork va bientôt revenir en colère. Krot être alors dévoré comme sa mère, son frère... et toute sa famille.
Krot devoir fuir. Krot fuit.
Facile pour lui, le camp n'est pas protégé. Les Bworks sont trop occupés à festoyer et à boire comme chaque soir. Krot courir dans la pénombre sans regarder derrière lui. Mais Krot pas avoir le temps de s'arrêter devant le trou grillagé. Krot tomber dans la fosse. Krot voir méchante bête dedans. Un trool. Mauvais pour la santé. Krot va rejoindre sa famille et ses anciens amis. Krot devenir Krotte. Trool lécher ses babines. Le monstre s'approche de Krot et, soudain, au moment où il va l'attraper, il s'immobilise. Quelque chose bouge autour de lui, rapidement. Une ombre fonce sur le trool. Tout à coup un sram apparaît devant le monstre, dagues tendues. Sans s'en émouvoir, le trool charge et d'un violent coup de poing, il brise le pantin de sram qui disparaît dans la fumée. Un double. Krot peut apercevoir le vrai sram caché dans l'angle mort du trool, occupé à cerner le trool de pièges. Le trool se retourne brusquement et, haineusement, il s'élance vers le sram encapuchonnée. Et de ce fait, il fonce aussi dans les pièges qui en se déclenchant le paralyse complètement. Le sram s'approche de lui, doucement, un sourire fiché sur ses lèvres cadavériques. Méthodiquement, il sort ses dagues de sa cape et tranche un à un les tendons qui relient le cou de la bête à son corps. Le trool -ou ce qu'il en reste- ne tarde pas à s'effondrer sur le sol meuble, défait. Le sram est satisfait de lui, et après avoir découpé ce qui l'intéresse, il essuie calmement ses dagues sur les longs poils gris de la bête. Krot saisit sa chance et déguerpit vers la sortie du trou. Mais Krot ne voit pas le piège posé devant lui et se prenant les pieds dedans il s'étale, tétanisé, sur le sol. Le sram s'avance vers lui et réfléchit à voix haute :
« Mais qu'avons-nous là ?
Krot épouvanté, Krot pas pouvoir répondre.
Le sram poursuit imperturbable :
« _Un gobelin ! C'est que ça en devient rare d'en trouver autre part que dans l'estomac d'un Bwork.
_Pi...Pitié, gémit Krot.
Le sram l'observe encore, répugné :
_Ah, mais tu parles en plus !
_Ou...Oui
Le sram devient pensif, et sourit finalement. Il sort un long parchemin. Et s'écrit, à l'attention du gobelin :
_Catalogue Karouff 641...Hum...Alors, alors...
Le sram feuillette quelques minutes le catalogue, avant de s'arrêter à une page qui illumine son visage. Il rapproche le catalogue de la tête du gobelin en pointant une image de son doigt squelettique. Krot regarde l'image et pas le texte qui est en dessous, Krot ne sait pas lire, ni compter d'ailleurs. Il y voit avec horreur une peau de gobelin desséchée. Et au sram d'éclater d'un rire gras. Celui-ci entre deux éclats de rire tonitruants lui lance :
« _8.000 kamas la peau de gob', ça fait cher payée pour un nabot comme toi. M'enfin, c'est pas moi qui vais m'en plaindre...
Krot rester silencieux . Bientôt , le sram reprend, diabolique, avant de s'approcher d'un air sadique du gobelin :
_Manger ou être manger, c'est la dure loi de la vie !

_Gobelin pas manger, gobelin toujours être mangé !

Dernières paroles entendues de Krot le gobelin.

[HRP] Notes : Cette petite histoire est j'espère la première d'une longue suite sur le thème de « Dans la peau d'un (ou d'une)...[Monstre tiré du bestiaire de Dofus]. » J'ai trouvé ça assez original et le récit sur le gobelin était plaisait pour moi à écrire. Par contre, je me demande si l'infinitif à outrance utilisé dans ce texte (et sûrement que dans celui-ci si suite il y a) peut être gênant à la lecture. La fin me parait aussi un peu abrupte. Voilà, j'aimerais récolter tous vos avis éclairés dessus, pour savoir si ce texte à la forme un peu particulière est publiable dans ce journal. Ah oui, j'oubliais, je rajouterai peut être des images si j'en ai le temps. [/HRP]